dimanche 27 juillet 2014

Le Nœud Gordien, épisode 330 : Démonstration, 2e partie

Nico vit apparaître Maude au détour du corridor une minute à peine après son arrivée. Elle avait les yeux fatigués et un café à la main. « Dure soirée?
— J’ai les clés », dit-elle. Elle se laissa embrasser la joue avant de déverrouiller la porte. « Stéphane s’en vient avec les caméras.
— Qu’est-ce que tu lui as promis, pour le faire sortir un dimanche?
— Il m’invite à souper.
— C’est gagnant-gagnant. Vous feriez un beau couple. »
Maude grogna en tirant la lourde porte. Pendant qu’elle la tenait, Nico alla coincer une cheville de bois en-dessous, question de la maintenir ouverte. Il mit son sac en bandoulière et entra à la suite de Maude.
Le studio 11 était un plateau multifonction, celui que les boîtes de production choisissaient souvent pour leurs émissions spéciales. Nico n’était jamais venu auparavant dans cette salle vaste et, en ce moment, à peu près dénudée. Ses murs étaient noirs et ses planchers, lisses. Aucune lampe d’éclairagiste n’était fixée aux treillis au-dessus de sa tête; les plafonniers répandaient une lumière crue, parfaite pour leur projet.
« C’est parfait », dit Nico en écho à sa propre pensée.
La voix de Stéphanie retentit à l’entrée. « Hey hey gang! Je m’installe où? » Il portait une grosse valise dans chaque main.
« Salut Steph! Viens ici, au centre.
— Maude ne m’a pas dit c’était quoi votre projet. J’espère que c’est pas des films pour adultes, hein? Faudrait pas exposer mon esprit chaste et pur à des cochonneries! »
Maude lui tourna le dos en roulant les yeux. Nico ricana, davantage de la réaction de Maude que de ce qui l’avait suscitée.
Stéphane n’avait pas encore déployé son matériel qu’un croassement résonnait dans le studio vide. Les trois employés de CitéMédia firent volte-face pour voir entrer Édouard Gauss. Il portait lui aussi un bagage, quoique d’une nature différente : sa corneille se débattait dans une cage qui devait lui paraître bien étroite.
« Ah ben tabarouette », s’exclama Stéphane. « Édouard Gauss! » Il lui tendit la main pour une empoignade virile, le serrant contre son torse comme un vieux frère. Édouard interrogea Nico du regard : malgré la familiarité du caméraman, ils ne se connaissaient pas.
« Édouard, je te présente Stéphane. », dit Nico. « Stéphane, tu connais déjà Édouard. La corneille, c’est Ozzy.
 « Est-ce que vous êtes prêts? », demanda Édouard.
« Prêts à quoi? On ne m’a rien expliqué », dit Stéphane.
« Tant mieux : j’ai demandé à Nico et à Maude d’être aussi discret que possible. Je peux compter sur toi aussi?
— Croix de bois, croix de fer », dit Stéphane.
« Édouard va nous faire un tour de magie », dit Nico. « Notre job, c’est de trouver le truc. » Il ouvrit son sac et en versa le contenu sur le sol. Il y avait des gants de travail, une boîte de sous-vêtements boxers encore scellée, des cordes, des bandes de tissus, un rouleau de duct tape gris…
Stéphane siffla. « Vous êtes sûrs que c’est pas un porno?
— T’es sûr que t’as un esprit chaste? », répondit Maude du tac au tac. Elle se tourna vers Édouard. « C’est quoi, ton tour? 
— C’est simple », dit Édouard. « Quoi que vous fassiez, je vais être capable de pointer la direction de la corneille. 
— Oh. » L’expression de Maude montra qu’elle s’était attendue à quelque chose de moins banal, de plus fantastique.
« Notre mission à nous est de lui rendre la vie difficile », continua Nico. « Édouard, tu peux te déshabiller. » Il obtempéra sans hésiter.
Stéphane siffla. « De la nudité! Je le savais! Bon ben, Maude, on compte sur toi pour le talent féminin.
— Tu te déshabille aussi, Stéphane. » L’ordre de Maude créa chez le caméraman une expression de parfaite stupéfaction qui fit rire tout le monde.
« Passons aux choses sérieuses », dit Nico. « Édouard… D’abord je t’examine, ensuite je t’attache. »
Stéphane se mit à rire à son tour. « Je suis sérieux », ajouta Nico. Stéphane haussa les épaules et continua à assembler son matériel.
À l’aide d’une lampe de poche, Nico s’assura qu’Édouard ne cachait pas d’appareil dans ses oreilles ou dans sa bouche qui lui permette de communiquer à distance. « Enlève tes sous-vêtements… »
Édouard tourna le dos aux autres et se dénuda complètement. Nico déballa les boxers neufs qu’il avait apportés et les lui tendit. « Je te dis que tu ne laisses rien au hasard », lança Édouard en les prenant.
« Tu m’as demandé d’éliminer toutes les possibilités. Je l’sais-tu, moi, si t’as pas inventé le boxer-récepteur? »
Édouard se contenta de sourire. Ozzy fit une nouvelle tentative de se défaire de sa cage en battant des ailes.
Nico fit enfiler les gants à Édouard, puis il lui attacha les mains ensemble avec le papier collant. « Je vais t’attacher et te mettre en isolation sensorielle. À toutes les trois minutes, je vais toucher ton épaule. Tu devras pointer en direction de ta corneille. Est-ce que ça convient?
— Parfaitement », répondit-il.
« Maude, j’aimerais te parler en privé un instant. Stéphane, assure-toi qu’Édouard ne touche à rien avant mon retour.
Une fois sortis du studio, Nico tendit un appareil à Maude : « Toi, tu vas partir avec la corneille pour une balade en voiture. Ça, c’est un GPS qui va enregistrer ta position précise à chaque instant et la rapporter sur mon téléphone. Tout ce que tu as à faire, c’est te promener dans la ville, dans n’importe quelle direction, mais autour de CitéMédia.
— Palpitant.
— Garde les yeux ouverts, au cas où quelqu’un te suivrait…
— Hein?
— Je ne sais pas, un complice d’Édouard… »
Maude exhala bruyamment. « À quoi ça rime, toute cette expérimentation? Pourquoi est-ce que tu as besoin de moi pour tester un tour de magie?
— Tu connais Édouard…
— Justement. J’ai l’impression que vous ne m’avez pas tout dit.
— Bon. D’accord. Le truc, c’est qu’il n’y a pas de truc.
— Hein? » Maude le regarda comme s’il était tombé sur la tête. 
« Ouais. Notre cher ami s’est mis dans la tête de prouver que la magie existe. » Nico pouvait voir que Maude hésitait : était-ce une nouvelle plaisanterie? Devait-elle en rire? Nico haussa les épaules. « Moi-même, je ne suis pas convaincu. Mais j’avais besoin de quelqu’un en qui j’ai confiance pour m’aider. Dans tous les cas, on va bien voir… »
Maude prit le GPS d’un mouvement sec et partit en direction du stationnement.
« Maude? 
— Quoi?
— Tu as oublié de prendre la corneille… » 

dimanche 20 juillet 2014

Le Noeud Gordien, Épisode 329 : Six des Seize, 3e partie

Les quatre Maîtres croisèrent Gordon sur le seuil de la salle de conférence. Celui-ci serra la main à Van Haecht. « Arthur! », dit-il, sourire aux lèvres. « Te voilà enfin! » Son plaisir semblait sincère, quoiqu’Olson ignorait sur quoi il reposait. Son propre mépris de Van Haecht était pour lui une conclusion nécessaire lorsqu’il tenait compte de son histoire, sa personnalité et son talent…
« Comment vont tes fils? »
Van Haecht bomba le torse et roula sa moustache entre deux doigts. « Adam a commencé les préparatifs pour accomplir le Grand Œuvre.
— Eh bien! » dit Latour en lui donnant une tape dans le dos. « À ce rythme, les Seize seront à moitié des Van Haecht. »
Adam, Arie, Aart et Asjen : les quatre fils de Van Haecht étaient tous initiés, quoique d’envergure variable. Adam était l’aîné; il avait déjà servi Olson comme lieutenant dans la Joute. Il fallait reconnaître qu’il était assez talentueux, bien qu’un peu borné. Des autres, il n’avait rencontré qu’Asjen, le benjamin. Un idiot rêveur, incapable de la discipline requise pour devenir Maître, et laid comme un singe de surcroît…
Les Maîtres continuèrent à s’échanger des plaisanteries jusqu’à l’arrivée d’Avramopoulos, une fois de plus en retard. Cette fois, il n’était pas seul. Derek Virkkunen l’accompagnait. Bien malgré lui, le cœur d’Olson s’emballa à la vue de l’artiste. Olson était un fan de la première heure, avant même que Virkkunen ne soit reconnu sur la scène internationale. Et longtemps avant qu’il apprenne qu’Avramopoulos l’avait initié.
« Bonjour, bonjour. Ah! Van Haecht. As-tu fait un bon voyage? » Il y avait une pointe de raillerie dans le ton d’Avramopoulos… Van Haecht croisa les bras et répondit d’un simple mouvement de la tête. « Compte tenu la gravité de la situation », continua Avramopoulos, « nous devions agir dès que possible.
— Olson vient de m’en informer », dit Van Haecht. « Je respecte votre décision.
— Très bien. Nous pouvons donc commencer.
— Un instant », dit Latour en pointant Virkkunen. « Est-ce approprié qu’il assiste à nos discussions?
— Derek a développé une compréhension particulière de la zone radiesthésique durant notre résidence au Centre-Sud. Son expertise pourra nous être utile. Je l’ai déjà mis au courant de notre rencontre précédente. Est-ce que quelqu’un s’oppose à ce qu’il demeure avec nous? » Personne ne pipa mot. « Très bien. Alors, où en sommes-nous? »
C’était rusé : en posant la question, Avramopoulos déléguait aux autres la responsabilité de fournir des réponses.
Olson prit les devants pour présenter sa théorie. « L’énergie radiesthésique n’est pas bornée à la zone du Cercle, même si là-bas, sa concentration devient dangereuse.
— Bien entendu », répondit Avramopoulos.
« En supposant que toute zone radiesthésique, même celle de La Cité, contient une quantité d’énergie qui n’est pas infinie, je crois qu’il serait possible de mettre en place un procédé – ou mieux encore, un dispositif – qui nécessite une grande quantité de cette énergie. En tirant beaucoup d’énergie du Cercle, on pourrait peut-être l’amener à un niveau moins menaçant. »
Latour et Gordon demeuraient plongés dans leurs pensées, peut-être en train de calculer la faisabilité de cette option. Mandeville, pour sa part, sauta aux conclusions. « Il y a beaucoup trop d’énergie! Personne ne peut faire un procédé de cette envergure! »
Olson avait prévu cet argument. « Personne… Individuellement. Mais par un heureux hasard, six Maîtres et un certain nombre d’adeptes se trouvent dans La Cité.
— Oh », dit-elle. « C’est mieux que la solution à laquelle j’avais pensé. Surtout à court terme.
— Et cette solution… », demanda Gordon
Mandeville frotta ses mains nerveusement. « Je pensais que tout le monde en arriverait aux mêmes conclusions que moi, mais… Voilà : plus il y a de Maîtres, moins il y a d’énergie. Il nous faut donc plus de Maîtres.
— Ce n’est pas en tirant sur les tiges que les fleurs poussent plus vite », dit Van Haecht.
« Il a raison », ajouta Avramopoulos d’un ton sec. « Il faudrait des années… Des décennies…
— Nous observons une hausse de l’énergie disponible d’une magnitude comparable à celle qui a suivi la purge de Harré », ajouta Gordon. « Il est vrai que nous pourrions supporter un plus grand nombre d’initiés, et de Maîtres, à un moment donné. 
— Il y a une autre piste. Peut-être », dit Latour en se levant. Il entreprit de marcher autour de la table, pensif comme s’il cherchait à trouver les mots justes. « L’avènement de Harré était un désastre, personne ne peut dire le contraire. Mais Gordon a raison : Harré a mis en branle des changements dont nous bénéficions aujourd’hui…
— Faites-vous l’apologie de Harré? », demanda Van Haecht, outré.
« Il ne faut pas blâmer l’outil pour ce qu’en fait l’ouvrier », offrit Latour. « Lorsque Harré a attaqué nos aïeux, ceux-ci ont été pris au dépourvu, confrontés à des procédés qui leur étaient inconnus. Vous dites que l’anathème a trouvé la voie vers la metascharfsinn? Peut-on risquer de nous retrouver encore impuissants face aux armes de nos ennemis? »
Latour laissa ses paroles faire leur effet. « Je crois que la meilleure option est de percer à notre tour les secrets de la metascharfsinn. »
Mandeville se tortilla sur son siège, visiblement mal à l’aise. « Si Harré et Tricane ont perdu l’esprit…
— Nous devrons faire mieux qu’eux », conclut Latour.
Avramopoulos se tourna vers son partenaire de vie. « Derek?
— Je ne saurais présumer être en mesure de choisir quoi faire à votre place », dit l’artiste d’une voix légèrement accentuée. « Mais vous profiterez peut-être de mes explorations. Mes… recherches m’ont fait découvrir que l’énergie radiesthésique correspond à une certaine fréquence vibratoire, analogue à une onde sonore. »
Personne ne s’était attendu à ce que Derek – qui portait toujours le blanc du novice – se lance dans ce genre d’explication.
« Je vais poursuivre en m’appuyant sur cette même analogie. Imaginez que nos procédés agissent comme un verre de cristal… Exposé à certains sons, le verre vibrera à son tour jusqu’à produire le son clair que vous connaissez.
— Le Centre-Sud est une cacophonie », glissa Avramopoulos.
Virkkunen acquiesça d’un mouvement de la tête. « Et le contrecoup, c’est lorsque les vibrations ambiantes sont assez fortes pour casser le verre. »
Mandeville était surprise, Latour, impressionné et Avramopoulos, dégoulinant de fierté. Van Haecht ne montrait qu’un froncement de sourcils. Olson, pour sa part, était intrigué de savoir comment Derek Virkkunen avait pu en arriver à pareille conclusion. « C’est une perspective innovatrice », dit Olson. « Mais j’ignore encore ce que nous pourrons en faire…
— Je pense qu’il serait possible d’harmoniser les fréquences en cause, à tout le moins réduire comment elles interfèrent les unes avec les autres. Il me fera plaisir de vous en parler plus en détail », dit l’artiste. « Je ne demanderai pas de faveur en retour pour ce secret. »
Ici encore, Olson lut un éventail de réactions chez ses pairs : Gordon et Latour semblaient touchés par sa générosité, mais Avramopoulos s’était renfrogné. Sans doute considérait-il que son initié se vendait à rabais. Celui-ci demanda : « Donc, pour la suite des choses…? »
« J’ai démarché pour trouver un assassin, comme convenu », dit Gordon. « Le contrat sera bouclé sous peu. Mais si Tricane a survécu à Espinosa et Hoshmand… » Il haussa les épaules, comme si la conclusion allait de soi.
«  Je me porte volontaire pour explorer la piste de la metascharfsinn », dit Latour. « Pour ce faire, je devrai retourner à Tanger pour consulter l’archive de Kuhn. J’aurais besoin d’être accompagné par quelqu’un capable d’intervenir en cas de… problème psychique. Catherine? »
Mandeville sursauta. « Je… Oui. D’accord. » C’était un bon choix : elle était la plus méfiante envers l’héritage de Harré, la seule des six Maîtres présents à n’avoir jamais jouté.
« Pour ma part », continua Olson, « Je vous proposerai dans quelques jours une façon de drainer l’énergie du Cercle. J’aurai peut-être besoin qu’on me prête main forte d’ici là. Gordon hocha délibérément la tête : Olson pourrait compter sur lui.
Avramopoulos demanda : « Y a-t-il autre chose pour l’instant? » Personne ne parla. « La réunion est levée », conclut-il. « Assurez-vous de demeurer faciles à contacter. Informez les autres si vous quittez La Cité. Et de grâce, restez vigilants! » 

dimanche 13 juillet 2014

Le Nœud Gordien, épisode 328 : Six des Seize, 2e partie

Olson descendit une vingtaine de minutes après Van Haecht, encore frissonnant de son coït volontairement interrompu. Ses jeux avec Pénélope ressemblaient à un concours à savoir qui stimulerait davantage l’autre. Pour sa part, il se plaisait à s’exciter sans satisfaction, étirant la tension sexuelle comme la corde d’un arc, jusqu’à n’en plus pouvoir tant son désir l’étourdissait. Il en venait à n’avoir plus d’autre envie que de se laisser aller à ce que les poètes appellent tantôt le grand frisson, tantôt la petite mort.
Des vingt minutes écoulées, dix-huit avaient été dédiées à l’amour; les deux restantes lui avaient suffi pour se rendre présentable. Il n’avait pas eu besoin de se raser : sa barbe ne poussait plus. Il n’avait pas eu à se laver : sa transpiration demeurait inodore. Il n’y avait que son sexe qui était parfumé de celui de Pénélope, mais personne d’autre que lui n’aurait le nez assez fin pour s’en rendre compte.
Van Haecht se trouvait attablé dans la grande aire commune, devant une tasse de thé et un croissant entamé. Il était seul, outre un couple de l’autre côté de la pièce qui mangeait en silence, les yeux rivés sur leur téléphone.
Olson prit le temps de se préparer un café avant de rejoindre Van Haecht.
« C’était long…
— Compte tenu votre réaction », répondit Olson, « j’ai jugé qu’il fallait mieux que je prenne le temps de m’habiller avant de descendre. »
Van Haecht grogna son indignation. « Vous êtes un Maître, je le reconnais, mais je suis votre aîné. Votre conduite est inacceptable. Je ne demande pas obéissance et dévotion, mais le respect qui m’est dû…
— Et vous, vous croyez être respectueux, en retardant tout le monde avec votre peur de l’avion?
— Ce n’est pas de la peur. Je préfère…
— …vous préférez », répéta Olson, moqueur.
Van Haecht lui décrocha une œillade qu’il aurait sans doute voulu venimeuse. Olson, pour sa part, n’en fut guère affecté. L’aîné jugea bon de changer de sujet. « Quand êtes-vous arrivés? Avez-vous eu l’occasion d’en apprendre davantage sur les inquiétudes d’Avramopoulos?
— Je suis arrivé il y a quelques jours. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter à cinq. Vous y auriez été aussi, si vous n’aviez pas préféré être absent…
— Quoi!
— Avramopoulos nous a présenté sa problématique. Une bagatelle : une anathème, possiblement sous l’effet de la metascharfsinn,  tue des adeptes et fait croître le Cercle de La Cité, à la fois en superficie et en concentration, à un point tel que des non-initiés subissent des contrecoups. »
Van Haecht pâlit jusqu’à en devenir livide.
« Dans pareil contexte, vous comprenez que nous n’avions pas le loisir d’accommoder les délais des uns et des autres. S’il avait fallu attendre Eichelberger aussi…
— La situation est plus grave que je ne l’aurais présumé », concéda Van Haecht. « Qui est cette anathème?
— Une certaine Tricane, initiée par Gordon. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant. Elle n’était pas avec lui durant notre joute à La Plata. »
C’est à ce moment que Catherine Mandeville entra dans la pièce. Elle se rendit jusqu’au buffet, fit couler une tasse d’eau chaude et, après une bonne minute d’hésitation, choisit une pomme parmi les fruits offerts. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle remarqua les deux Maîtres qui s’y trouvaient déjà. Van Haecht se leva pour l’accueillir.
« Catherine! Quel plaisir de vous voir.
— Et vous pareillement, Arthur.
— Mes sincères sympathies pour Madeleine. Vous étiez si proches l’une de l’autre… »
Les yeux de Mandeville s’embuèrent : elle n’avait pas encore fait son deuil de Paicheler. Elle remercia Van Haecht, la gorge nouée.
« C’est une grande perte pour nous tous », continua-t-il. « Sans compter la disparition de notre cher Kuhn... » La conversation s’enlisa dans un silence.
Ce fut au tour de Latour d’arriver au buffet, les mains dans les poches en sifflotant. Il vint saluer Van Haecht à son tour. Les Maîtres discutèrent de tout, mais surtout de rien, jusqu’à ce que Mandeville tapote sa montre en disant : « La réunion commence bientôt. »
Les Maîtres se dirigèrent vers la salle de conférence. Alors qu’ils passaient devant elle, la femme au téléphone leva la tête pour la première fois. Elle ne pouvait pas se douter qu’elle se trouvait en présence d’immortels; elle ne pouvait toutefois ignorer la silhouette harmonieuse d’Olson, ses muscles proportionnés qui jouaient sous un vêtement choisi pour les mettre en valeur, ses traits surréels. Ce coup d’œil, aussi furtif fût-il, fit grand plaisir à Olson.
Il tourna ensuite ses pensées vers la réunion qui allait commencer. Il était bien curieux de savoir quelles pistes ses pairs avaient trouvées pour faire face aux problèmes de La Cité… Et comment ceux-ci allaient réagir en entendant la sienne.

dimanche 6 juillet 2014

Le Noeud Gordien, épisode 327 : Six des Seize, 1re partie

Des coups frappés à sa porte réveillèrent Olson en sursaut. L’horloge indiquait six heures et quart.
S’il avait éliminé la nécessité de dormir, cela ne l’empêchait pas de s’assoupir de temps à autre, et rien ne le relaxait autant qu’un puissant orgasme après quelques heures d’ébats…
Il se faufila hors de l’étreinte de Pénélope qui roula sur le côté en se recroquevillant sur elle-même. Les coups ne semblaient pas l’avoir dérangée outre mesure.
Olson alla jeter un coup d’œil à travers l’œil magique pour découvrir l’image arrondie d’un Van Haecht furibond. Olson prit le temps de lisser ses cheveux avant d’ouvrir.
Van Haecht ne s’attendait pas à se retrouver devant un homme nu, encore mois – Olson pouvait le supposer – un homme pareillement équipé. Si Van Haecht avait prévu l’admonester, les réprimandes lui restèrent coincées au travers de la gorge. Il bafouilla, s’étouffa, plus cracha, le visage rouge : « Mais couvrez-vous, bon Dieu! 
— Vous frappez à ma porte à une heure indue. Vous êtes ici chez moi. Je vous répondrai comme il me plaît », dit Olson en croisant les bras.
Cherchant sans doute à détourner le regard de ce spectacle qu’il aurait préféré ne pas voir, Van Haecht aperçut Pénélope derrière Olson. Une nouvelle forme de trouble s’ajouta à la précédente. Vieux cochon, pensa Olson. La pudeur en prend pour son rhume devant pareille créature, pas vrai?
Olson toussota. Van Haecht se ressaisit. « Je viens tout juste d’arriver. J’ai dû user de beaucoup de persuasion pour connaître l’emplacement de vos chambres », dit-il sur le ton du reproche. « Vous êtes le seul à vous trouver dans la vôtre.
— Pas même Latour? » C’était… inattendu. Il lui avait bien dit qu’il prévoyait consacrer sa nuit finir de se remettre du décalage horaire.
« Il restait encore Mandeville après vous », concéda Van Haecht. L’exposition subite à la nudité avait distrait une bonne partie de sa colère. Pénélope gémit dans le lit en tirant les draps par-dessus sa tête; la conversation la dérangeait apparemment plus que les coups frappés.
« Bon, maintenant que je suis levé… Descendez au deuxième : c’est là que le déjeuner est servi. Je vous y rejoindrai. Mieux vaut discuter là-bas qu’ici. »
Sans surprise, Van Haecht acquiesça. Olson lui ferma la porte au nez et alla enfiler une chemise.
« Qui était-ce? », demanda Pénélope.
— À quel moment t’es-tu réveillée?
— J’ai tout entendu. C’était un autre Maître? Pauvre type, tu as failli le faire mourir!
— C’est qu’il n’est pas habitué de voir un vrai homme », dit Olson en grimpant dans le lit, le sang battant déjà dans son sexe. « Pas même dans le miroir. Tiens, je vais te montrer ce que c’est…
— C’est vilain de faire attendre ce pauvre monsieur… », dit-elle d’un ton joueur.
— C’est encore plus vilain de te soucier de ce monsieur-là plutôt que de celui-ci », répondit-il en la pénétrant.
Pénélope l’accueillit avec un soupir avant de lui planter ses griffes dans le bas du dos, pour  le guider plus loin en elle.