Une fois de plus, l’anneau de Gordon
lui montrait le chemin.
En plus d’avoir rendu possible
l’existence de son impressionnant Nœud, le bijou avait quelques autres utilités
pratiques. L’une d’elles était toute simple : Gordon pouvait facilement
deviner où l’une de ses connaissances se trouvait en suivant la direction du
fil éthéré qui le reliait à lui. Ce n’était ni automatique, ni toujours précis,
mais souvent, cet indicateur suffisait. C’est ainsi qu’il put savoir quand
Avramopoulos retourna au chevet de Gauss sans avoir à le filer. C’était pour
lui le moment d’agir – et peut-être franchir une nouvelle étape dans la
réalisation de son plan.
Une fois à l’hôpital, il se dirigea
d’un pas vif jusqu’à la chambre de Gauss, trépidant derrière sa façade assurée,
les mains moites et les doigts gelés par la nervosité.
La chambre de Gauss se trouvait dans
une section retirée de l’aile nord. Le troisième étage, loin de la cohue des
admissions ou de l’urgence, baignait dans une atmosphère feutrée. Même les
infirmiers et le personnel d’entretien semblaient soucieux d’étouffer jusqu’au
bruit de leurs pas.
Gordon poussa la porte et trouva
Avramopoulos assis au bord de sa chaise, le menton appuyé sur ses jointures
comme le Penseur de Rodin. Il accueillit Gordon en disant : « Si tu
es venu te moquer de moi, je te le dis tout de suite : je ne suis pas du
tout d’humeur. » Gordon affecta l’indifférence tout en savourant l’inconfort
de son maître.
Gauss semblait dormir d’un sommeil
paisible, pour peu qu’on choisisse d’ignorer la tuyauterie qui l’envahissait,
scellée à sa bouche par une croûte jaunâtre, sans doute un symptôme écœurant du
mal qui l’avait pris.
« Sais-tu quoi faire pour le
guérir? »
Avramopoulos haussa les épaules.
« Tant qu’il est ici, je ne peux pas l’examiner. Tant que je ne l’aurai
pas examiné, je n’en sais rien.
— Pourquoi tu ne le fais pas sortir,
alors?
— Tu le sais très bien. »
Oh oui, Gordon le savait. Habitué de s’appuyer sur le pouvoir de sa
statuette, Avramopoulos ne disposait pas d’autre moyen de parvenir à ses fins tout
en maintenant la discrétion exigée par les principes de la grande trêve. Il
pourrait sans doute développer un procédé approprié, mais dans combien de temps?
« Pas de statue, pas de salut, hein?
— Je te l’ai dit, je ne suis pas
d’humeur », répéta-t-il. Comme si tu
te souciais de l’humeur des gens dont tu te moques, pensa Gordon pendant
qu’Avramopoulos continuait : « Je l’ai retrouvée une fois, je la retrouverai
encore. C’est une question de temps. »
Gordon ignorait à quoi exactement il
faisait allusion. Il dit : « Si tu veux que je t’aide, tu n’as qu’à
me le demander. »
Avramopoulos fronça les sourcils.
« M’aider comment?
— Tiens : imagine que je trouve
ta statuette avant toi… »
Avramopoulos bondit hors de sa
chaise. « Je savais que c’était toi! »
Gordon posa son doigt sur ses lèvres
puis pointa Gauss comme pour dire Calme-toi!
Le jeune-vieux hésita un instant puis se renfrogna, les bras croisés et des dagues
dans les yeux. Il attendait toujours une réponse.
« Je te jure que je n’ai pas
posé la main sur elle. En ce moment, je ne pourrais dire où elle se
trouve. »
Avramopoulos dévisagea Gordon un
instant avant de se détendre. Il avait toujours été très apte à détecter les
mensonges de Gordon, à un point tel que celui-ci soupçonnait l’usage d’un truc.
Gordon avait toutefois vite appris que le Maître n’était pas aussi doué pour
reconnaître comme telles les omissions qui se cachaient derrière des paroles par
ailleurs véridiques.
Gordon allait poursuivre lorsque la
porte de la chambre s’ouvrit.
« Vous êtes qui, vous autres?
Qu’est-ce que vous faites ici? »
Avramopoulos, interloqué, semblait
se poser la même question à propos de la nouvelle venue. Gordon, lui, la
reconnaissait. C’était l’ex-femme de Gauss.
« Vas-y », dit-il en allemand
à Avramopoulos d’un ton qu’il voulait condescendant. « Je m’occupe
d’elle. »
Avramopoulos sortit, bouillant de
frustration. Gordon n’avait pas réussi à jouer ses cartes comme il l’espérait,
mais ça n’était que partie remise. À défaut d’avoir obtenu son secret, il
ressortait au moins avec la satisfaction de son déplaisir.
« Alors? », demanda
Geneviève.
« Entrez, entrez, je vous en
prie », lui dit Gordon avec un sourire chaleureux.
Il pouvait voir qu’elle usait
fréquemment du composite O; la suite des choses ne serait qu’une formalité.