Cet animal n’était pas normal. Manifestation
synchrone ou oiseau savant? La corneille avait fait non seulement preuve de
cette apparence d’intelligence propre aux animaux de cirque, mais plus encore
de compréhension… La créature était fascinante, mais les questions devaient attendre.
Il souffla une fois de plus à même la bouche de Gauss.
Au bout d’une éternité à compter,
souffler, cracher et recommencer, la nuit prit des teintes bleues et rouges.
Une ambulance était apparue au détour du boulevard St-Martin. Hoshmand poussa
un soupir de soulagement : même si les ambulanciers ne pourraient sans
doute pas traiter la condition d’Édouard, ils pourraient au moins le protéger
de l’arrêt respiratoire.
Deux hommes sortirent dès que le
véhicule fut stationné. En quelques secondes, ils avaient commencé leur
intervention. Le plus jeune maintenait un masque avec une sorte de soufflet
contre le visage de Gauss pendant que l’autre étudiait son cou, sa mâchoire
puis ses bras.
« C’est vous qui l’avez
trouvé? », demanda le plus vieux en s’affairant. Hoshmand acquiesça.
« Était-il inconscient?
— Oui, mais je ne sais pas depuis
combien de temps. Il s’est étouffé pendant que j’essayais de l’amener se faire
soigner. J’ai dégagé ses voies respiratoires et je lui ai fait le
bouche-à-bouche. »
L’ambulancier jeta un regard au panier
d’épicerie renversé juste à côté d’eux. Il haussa un sourcil, mais ne dit rien.
Il demanda à Hoshmand de s’identifier, puis de répondre à quelques questions,
entre autres s’il avait vu des indices de consommation d’alcool, de drogues, de
produits allergènes, son lien avec le patient... Hoshmand répondit sans détour;
il prit même un raccourci en se présentant comme un voisin.
« Hey, regarde », dit le
plus jeune. « Je pense que c’est Édouard Gauss!
— Concentre-toi sur ce que tu fais.
On va procéder à l’intubation trachéale. »
Le visage du jeune devint
tout-à-coup sérieux. Hoshmand se dit qu’il devait à peine être sorti de
l’école. Son partenaire agissait plutôt avec l’assurance du vétéran. En
quelques instants, Gauss respirait au rythme de la machine qui lui soufflait de
l’air directement au fond de la gorge. Leurs
procédés sont moins longs que les nôtres, pensa Hoshmand. Et pas moins efficaces.
Ils levèrent la civière pour rentrer
le patient dans leur véhicule. Le plus jeune resta auprès de lui, le vétéran
ferma les portes et marcha tout droit jusqu’au siège conducteur. « On va
l’amener.
— Et moi? », demanda Hoshmand.
« Vous n’êtes pas de la famille?
— Non.
— On va prendre le relais.
— Vous l’amenez où?
— Ochulque.
— Plaît-il?
— L’hôpital universitaire de La
Cité. Coin 3e avenue et 3e rue.
— Oh. » Au CHULC.
L’ambulancier le salua d’un
mouvement puis pris le volant. Hoshmand ne fut pas surpris de voir la corneille
s’envoler à la suite de l’ambulance.
Quelle
nuit de merde, pesta-t-il, tout en reconnaissant qu’à tout prendre, les
choses auraient pu être pires.
C’est là qu’il se souvint qu’il se
trouvait à la lisière du Centre-Sud, à pied et le dos en compote. Il continua à
marcher vers le nord en dodelinant comme un pingouin, les deux yeux rivés sur l’écran
de son téléphone qui affichait Réseau
indisponible, espérant à chaque pas que la mention disparaisse.