dimanche 29 mai 2011

Le Noeud Gordien, épisode 172 : …et l’enfant-prodige

Félicia se réveilla tôt; le décalage horaire ne lui laisserait pas dormir une nuit complète avant quelques jours encore. Elle avait passé une bonne partie de sa nuitée à fixer le plafond blanc de sa petite chambre d’auberge sans vraiment avoir envie de dormir. Elle trouva de quoi manger et un café à siroter en attendant Mandeville. Celle-ci arriva avec sa ponctualité habituelle pour la reconduire chez Kuhn.
Le procédé qui cachait sa maison était rien de moins qu’incroyable par son envergure et sa persistance : un indice du niveau de maîtrise des Seize. Les Maîtres utilisent rarement leurs talents de façon spectaculaire – plutôt le contraire : plus ils étaient puissants, plus ils tendaient à dissimuler leurs capacités –, alors il était facile d’oublier les trésors de connaissances et de savoir-faire qu’ils incarnaient… Et tout le chemin qui restait à parcourir avant que Félicia ne leur arrive à la cheville. Elle était galvanisée plutôt que découragée par les pas suivants… Elle espérait que Traugott l’appuie dans ses avancées!
Catherine l’accompagna jusque dans le bunker. Cette fois, le vieux maître ne les attendait pas de l’autre côté de la cloison. Félicia dut alors se familiariser avec le long et laborieux processus de décontamination exigé par Kuhn…
La combinaison Hazmat s’avérait encore plus inconfortable qu’elle ne l’aurait cru. Le casque, l’habit complet et l’appareil respiratoire lui donnaient un air d’astronaute mais l’encapsulait totalement en coupant à peu près toutes les possibilités de contamination – ordinairement, ce genre de combinaison protégeait celui qui la portait de son environnement; dans ce cas-ci, c’était l’inverse. Elle comprit les réticences de Catherine à l’accompagner de l’autre côté…
Félicia ne pouvait s’empêcher de penser que tout ce bataclan servait bien plus à apaiser les angoisses irrationnelles de Kuhn qu’à le protéger contre une menace réelle. Elle avait même cru comprendre que Catherine pensait comme elle, quoiqu’elle n’ait pas dit un mot à cet effet. Dans tous les cas, Félicia n’oubliait pas sa chance d’avoir été demandée par l’un des Seize… Quelques concessions à son confort demeuraient un prix raisonnable à payer.
Lorsqu’elle fut fin prête, Mandeville la salua de l’autre côté de la cloison avant de remonter à toute vitesse, apparemment satisfaite de ne pas avoir croisé Kuhn.
Félicia passa de l’autre côté du rideau qui ne cachait qu’un mur et une porte fermée. Elle poussa le battant pour s’engager dans une pièce à l’ameublement spartiate… Une table, quatre chaises et un lavabo éclairés par une ampoule nue. Kuhn l’y attendait; en la voyant, il déposa le calepin dans lequel il écrivait pour aller aux-devants de sa visiteuse.
« Ma belle enfant! Que je suis content de te voir! »
Félicia eut un élan de pitié pour ce vieil homme, peut-être le plus puissant au monde, ironiquement confiné dans un caveau humide par sa propre crainte de la tombe… Elle pouvait comprendre son enthousiasme à l’idée de recevoir des invités.  
« As-tu mangé? », demanda-t-il comme il l’avait fait la veille. Elle fit oui de la tête en se demandant comment il s’approvisionnait, au juste… « Évidemment, de ce côté-ci, la combinaison complique certaines activités… C’est pourquoi j’ai aménagé un autre espace clos avec son propre système de décontamination… »
Il la guida jusqu’à un porte qu’elle n’avait pas remarquée en entrant – elle bénéficiait sans aucun doute du même genre de procédé qui rendait la maison fonctionnellement invisible. Pendant que Kuhn la guidait dans les méandres du souterrain en lui expliquant comment ses invités pouvaient manger ou dormir confortablement sans compromettre la stérilité du reste du bunker, les pensées de Félicia se tournaient vers l’élaboration de prétextes pour ne pas devoir rester plus longtemps que nécessaire. Elle comprenait de mieux en mieux l’ambivalence de Mandeville par rapport au vieux maître.
Son fil de pensée s’arrêta sec : Kuhn venait d’ouvrir une autre porte devant elle. De l’autre côté, la lumière du soleil éclairait une vaste salle de séjour meublé avec le même bon goût que la maison au-dessus du bunker. Un piano à queue occupait un coin; des tableaux de styles baroque ou romantique garnissaient les murs. Une porte française donnait sur une cour intérieure garnie d’oliviers et de lauriers. 
Tout ceci était un non-sens : ils étaient censés se trouver sous terre. Elle avança lentement dans la pièce luxueuse dans sa combinaison incongrue. Elle se sentait comme l’astronaute dans la finale de 2001 : L’odyssée de l’espace
« C’est une chambre secrète?
— Bien évidemment!
— Mais c’est immense! »
Kuhn sourit d’un air satisfait. « Ça m’a pris beaucoup de temps à modeler, mais c’était la seule façon de rendre ma réclusion supportable… Je vais me faire du thé, je suis désolé de ne pas pouvoir t’en offrir… Nous pourrons discuter de ce pourquoi je t’ai fait venir. »
Pendant qu’il s’affairait, Félicia s’assit au piano. Elle en joua distraitement d’un doigt; les gants de la combinaison rendaient le tout difficile.
Kuhn voulait savoir comment elle avait retenu l’essence de Frank Batakovic après son décès. Il ignorait – ils ignoraient tous – la nouvelle découverte prodigieuse qu’elle avait accomplie récemment… Elle n’avait pas encore décidé si elle le lui révélerait… ou le prix qu’elle demanderait si elle choisissait de le faire.

dimanche 22 mai 2011

Le Noeud Gordien, épisode 171 : L’aîné…

Chaque fois que le signal retentissait, il avait l’effet d’une décharge électrique sur les vieux os de Traugott Kuhn. Seul un allié pouvait entrer dans la maison; le signal d’une présence représentait nécessairement une visite qui lui permettrait de tromper sa solitude. Même brièvement.
C’était Mandeville qui s’était acquittée de sa faveur avec diligence : elle ne revenait pas seule. Pendant qu’elles se débattaient avec l’écoutille du bunker, Kuhn enfila une chemise et tenta d’imposer un semblant de discipline à ses cheveux ébouriffés. Le temps qu’elles arrivent dans l’antichambre, il était prêt.
Catherine était élégante et bien mise, comme toujours, mais Kuhn découvrit que l’enfant-prodige qu’il attendait n’avait rien d’une enfant. C’était une splendide jeune femme aux cheveux blonds et très, très peu vêtue. Elle ne portait qu’une camisole blanche moulée comme une seconde peau et des shorts de denim qui ne couvraient que son bassin et pas un millimètre de plus. De larges verres fumés cachaient la moitié de son visage.
Kuhn n’avait guère été distrait par les élans de la chair depuis qu’il s’était cloîtré dans sa solitude aseptisée. Si le Grand Œuvre avait transformé la finalité de ses jours en un horizon ouvert, il l’avait néanmoins accompli au crépuscule de ses années. Avant même sa réclusion, il avait tiré un trait sur le beau sexe. Après, il n’avait côtoyé qu’une poignée de femmes, surtout Mandeville, qui  représentait pour lui quelque chose comme une nièce favorite… et Paicheler, qui avait tout le sex-appeal d’un poisson mort.
Mais cette fille, cette nymphe, par sa seule présence, venait de remettre en mouvement ces eaux stagnantes.
Ça n’est pas sans embarras que Kuhn ressentit cet émoi. Il tenta tant bien que mal de le dissimuler alors qu’il accueillait ses visiteuses.
« Catherine, Catherine! Déjà de retour! Et qui m’amènes-tu là?
— M. Kuhn, je vous présente Félicia Lytvyn. Félicia, Traugott Kuhn.
— Enchantée », dit-elle avec un pincement de lèvres en guise de sourire.
« Je suis sincèrement désolé de devoir vous accueillir si froidement… Catherine vous a sans doute expliqué la raison de mon isolation?
— Vous avez créé un environnement clos de manière à vous protéger contre une éventuelle épidémie… »
En souriant, il répondit : « Dans le pire des scénarios, j’imagine que je serai effectivement protégé… Mais ma préoccupation est plus large que l’éventualité d’un cataclysme.
— M. Kuhn est l’aîné des Seize », précisa Mandeville. « Sans doute le plus grand spécialiste de notre art encore en vie.
— Si vous dépassez mes professeurs », dit la jeune femme en repoussant une mèche de cheveux derrière son oreille, « alors vous devez tout savoir! »
Kuhn s’esclaffa. « Si je savais tout, je saurais comment utiliser notre art de manière à vaincre ces damnés virus… Mais en attendant, la préservation de mes connaissances importe davantage que mon confort. Dans mon temps, le Grand Œuvre et la jeunesse étaient mutuellement exclusifs… Même si le Grand Œuvre protège ma chair du vieillissement et de ces cancers, il n’efface pas le poids des années… Il serait malheureux qu’une vulgaire grippe ait raison de moi avant que je finisse de transmettre mes savoirs… »
Kuhn serra les dents en pensant à cet égoïste d’Avramopoulos qui, selon toute apparence, avait réussi à déjouer sa propre vieillesse… S’il pouvait rajeunir… Peut-être que Félicia… Il repoussa l’idée avant même qu’elle eut fini de prendre forme.
« Avez-vous mangé? » Les deux femmes firent oui de la tête. « Resterez-vous un peu, alors?
— Nous sommes très fatiguées : nous sommes sorties de l’aéroport il y a à peine deux heures. Et il y a le décalage… »
Déçu – mais pas surpris – Kuhn leur donna donc rendez-vous pour le lendemain.
Il passa le reste de la journée habité d’une fébrilité qu’il avait cru ne plus jamais connaître.

dimanche 15 mai 2011

Le Noeud Gordien, épisode 170 : …qui voulaient se battre

Il fallait le reconnaître : Smith ne s’était pas appuyé sur la chance pour survivre jusqu’à présent.
Ordinairement, Smith ne rendait visite aux quatre que lorsqu’il en voyait la nécessité. Le reste du temps, ils échangeaient par les canaux sécurisés mis en place au temps de Lytvyn. Pour faire sortir Smith de sa tanière, Wasyl avait tenté d’organiser une rencontre en suggérant divers sites, mais chaque fois, Smith refusait sans même se donner la peine d’offrir quelque prétexte. Il avait fini par leur imposer un coin perdu du Centre-Sud, assez loin dans le No man’s land pour avoir la certitude que ni la police ni leurs rivaux ne puissent interférer. Wasyl aurait pu mentir à Dieu ou au Diable sans sourciller : les quatre demeuraient confiants que Smith n’ait disposé d’aucun indice pour subodorer leur véritable intention.
Pour le reste de La Cité, le Centre-Sud correspondait à la zone la plus dangereuse en ville. Les quatre ne la craignaient toutefois pas; leur démarche assurée et leur mine patibulaire assuraient que les charognards de la jungle urbaine évitent soigneusement de se retrouver sur leur chemin; les armes qu’ils portaient avec ostentation avertissaient les fauves qu’ils ne se laisseraient pas croquer facilement…
Le choix de Smith s’avérait être une cour d’école; l’idée que des enfants aient pu habiter les environs paraissait étrange, presque absurde.
Les quatre savaient que dans ce genre d’opération, celui qui contrôlait le terrain choisissait qui serait le chat et qui serait la souris. Quoiqu’ils se soient pliés au choix de Smith, ils n’avaient aucune intention de lui laisser le loisir de s’approprier les lieux. L’école elle-même représentait le seul endroit des environs où un tireur pouvait s’embusquer. Marcus et Fedir allèrent donc s’y planquer avec leur attirail de surveillance, mais surtout leur fusil à lunette.
Une heure avant la rencontre – deux heures quinze minutes après leur arrivée –, ils avaient brisé le silence radio pour échanger un bref message en ukrainien : « Personne en vue. On procède comme prévu. »
Comme prévu… Wasyl, avec son sens du drame, tenait à être celui qui appuierait sur la gâchette. Il voulait voir la surprise dans les yeux de Smith lorsqu’il comprendrait qu’il avait trouvé plus fort que lui. Il devait donc attendre avec Anton au centre de la cour d’école, comme Smith l’avait demandé.
Marcus et Fedir avaient pour premier rôle de s’occuper des importuns si Smith arrivait accompagné. Si l’attaque initiale de Wasyl échouait, Marcus et Fedir devaient attaquer à leur tour. Dans le pire scénario possible, ils devaient couvrir Wasyl et Anton pour forcer Smith à se mettre à couvert… Tout en sachant qu’il n’avait nulle part où fuir.
Cinq minutes avant l’heure convenue, Marcus vit les lèvres de Wasyl bouger pendant que l’émetteur-récepteur qu’il portait à l’oreille lui transmettait ses mots : « Je le vois. Il est là. Game on. »
La démarche de Smith avait quelque chose d’anormal, une nonchalance inhabituelle. Smith était un modèle de vigilance, comme un tigre aux aguets prêt à bondir malgré son immobilité apparente.
Jusqu’à ce que quelque chose se manifeste de façon plus précise, le mentionner aux autres ne servait à rien : ils pouvaient tous voir la même chose que lui. Marcus déglutit et s’assura de la stabilité de la poigne sur son arme.
En bas, plutôt que se rendre directement jusqu’aux deux hommes, Smith traça un demi-cercle de manière à approcher Wasyl et Anton en les maintenant dans la ligne de tir de Marcus. Il est fort, dut-il reconnaître. Mais pas assez pour nous. Fedir, lui, l’avait théoriquement toujours dans sa mire.
Lorsque Smith arriva à deux mètres de Wasyl, celui-ci dégaina brusquement son arme. Marcus était vissé sur le visage de Smith, à moitié caché par la tête d’Anton; le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne paraissait guère impressionné d’être tenu en joue à bout portant. Il ne paraissait pas même surpris…
Wasyl lui déclama quelque fanfaronnade qui ne fut pas transmise par son émetteur. Merde, pensa Marcus. Il brouille nos communications. Marcus se prépara à saisir la première chance qu’il trouverait pour tirer. Marcus vit ensuite Smith faire non de la tête.
Wasyl tendit alors le bras pour l’abattre, mais Smith agit encore plus rapidement : il fit un court mouvement des mains – l’une vers le haut, l’autre vers le bas, les deux se frôlant devant son cœur – Wasyl se mit à hurler. Même sans l’émetteur, Marcus entendit clairement le cri. Mais pourquoi Fedir ne tirait pas?
Incompréhensiblement, l’avant-bras de Wasyl pendouillait comme si ses os avaient cédé malgré que Smith ne l’ait pas touché. Avant que Anton n’ait eu le temps de libérer la ligne de tir de Marcus, Smith l’empoigna à bras-le-corps pour l’empêcher d’user de son arme. Les deux roulèrent sur le sol en un enchevêtrement de coups et de prises, jusqu’à ce qu’un coup de feu retentisse… Marcus retint son souffle…
Smith se releva vainqueur. Marcus allait lui faire payer sa victoire : rien ne le protégeait plus de son tir. Il visa la tête de Smith.
Ce dernier avait eu le temps de se tourner vers Marcus. Smith tenait sa main devant son visage, la paume ouverte vers lui, trois doigts pointant vers le ciel et l’annulaire rabattu jusqu’à son pouce.
Le cœur de Marcus se brisa dès qu’il vit le signe. Ses souvenirs revinrent en torrent.
Ses yeux se mirent à larmoyer et ses mains à trembler… Il ne pouvait plus tirer dans cet état, mais il ne s’en souciait même plus. Il était tout habité de cette terrible nuit où il avait assassiné dix-huit personnes, des familles entières… Les cris des enfants derrière les fenêtres barricadées, les imprécations impuissantes de Maucieri qui réalisait soudainement que ni son argent ni son pouvoir ne pouvait protéger les siens…
Marcus avait allumé l’incendie du Café Konya, et la vie qu’il connaissait jusqu’alors avait pris fin ce soir-là.
Combien de fois avait-il voulu en finir durant les semaines et les mois suivants, sachant que sa conscience ne lui permettrait plus de connaître le repos…
Jusqu’à ce que Jean Smith lui offre de l’en délivrer. « Je peux te redonner ta vie », lui avait-il dit.
« M. Lytvyn, M. Batakovic et moi sommes les seuls à savoir ce que tu as fait. Je connais un moyen de te faire oublier ce que tu as fait. Tu ne te souviendras pas de cette nuit ni de notre marché, et je vais m’assurer que personne ne te rappelle ce que tu as fait. Tu pourras continuer ta vie… »
Avant l’incendie, Marcus se serait soucié de ce que Smith pourrait gagner en lui offrant ceci. Il s’était contenté de dire : « Je n’ai rien à perdre », et c’était vrai. Il ne se souciait même pas qu’il procède par électrochocs, par lobotomie ou par un cocktail sorti du laboratoire d’un savant fou. Pour peu que les cris des enfants brûlés vifs se taisent pour de bon… 
Il ne regrettait pas ce marché maintenant qu’il redécouvrait cette douleur insoutenable.
Lorsqu’il entendit les pas de Smith, il était prostré en position fœtale, comme il l’avait si souvent été durant les jours suivant l’incendie… Il se réjouit de les entendre : il ne demandait qu’à recevoir la balle qui le délivrerait pour de bon des assauts de sa conscience.
Il remarqua distraitement que Smith boitait. L’un des autres devait l’avoir blessé.
« Marcus. 
— Vas-y », cracha-t-il. « Finis ta job. 
— Tu te rappelles ce que je t’ai fait oublier.
— Qu’est-ce que tu fais à me parler? On a manqué notre chance. Tu as gagné. Fin de l’histoire.
— C’est la fin de l’histoire pour les trois autres. Mais tu peux encore vivre.
— Les trois? Tu as eu Fedir aussi?
— Il est mort en premier. Toi, je savais que je pourrais t’avoir autrement.
— Fuck it… Fuck you. »
L’esquisse d’un sourire effleura les lèvres de Smith.
« Disons ça autrement. J’ai encore besoin de toi. Alors tu vas vivre que tu le veuilles ou non. Mais tant que tu te débats avec tes souvenirs, tu ne peux pas être utile… Ça ne sera pas que négatif, n’est-ce pas? »
Marcus laissa échapper un grognement plaintif.
« Regarde-moi! », dit Smith sur un ton impératif. Marcus ouvrit les yeux. La main de Smith faisait à nouveau le signe qui avait ressuscité ses souvenirs, mais cette fois, il eut l’effet contraire.
Marcus retrouva avec un soupir et une larme la félicité de l’inconscience. 

jeudi 12 mai 2011

La (télé)réalité dépasse la fiction...

Le film Louis 19 a correctement prédit l'avènement de la télé-réalité avec tout ce qu'elle a de voyeur et de racoleur... À une exception près.

Dans le film, afin de retrouver sa liberté et son intimité, il se met à agir en colon et à montrer de la sexualité ("taboute-moi, Louis!"). Le réseau choisit alors de couper alors la diffusion.

Dans la vraie vie, on en remet... Ça donne 3 saisons, des millions d'auditeurs et des participants reconnus comme des stars de la TV!

o.O

C'est sur cette pensée édifiante que je déclare mon été de prof commencé! Je le ne laisserai pas finir sans avoir complété Mythologies!

dimanche 8 mai 2011

Le Noeud Gordien, épisode 169 : Ils étaient quatre…

Ils étaient quatre guerriers, quatre tueurs aguerris. Quatre vétérans qui avaient épaulé sans coup férir Frank Batakovic au fil des années. Les quatre travaillaient donc pour Lev Lytvyn, mais leur loyauté était toujours demeurée tout entière investie auprès de lui. Après la mort du vieux, il leur avait dit : « Jean Smith est notre homme », alors ils avaient respecté la volonté de leur chef.
Ils avaient vu Smith démanteler l’organisation criminelle la plus puissante du continent en laissant les Sons of a Gun et le caïd de la Petite-Méditerranée recouvrer leur indépendance. Comment pareil faiblard avait pu succéder au redouté Lytvyn? Pourquoi Batakovic s’était-il rallié à lui?
Ils en étaient venus à se dire que leur entente avec Smith aurait dû mourir en même temps que Frank.
Durant les derniers mois, ils s’étaient ingéniés à tâter prudemment la marge de manœuvre dont ils disposaient. Ils amputaient leurs redevances à Smith d’une fraction importante; leurs hommes dans la rue empiétaient impunément sur les plates-bandes de leurs voisins, sans regard pour leur alliance de principe… Lytvyn aurait brutalement supprimé pareille insubordination, mais les quatre ne subirent aucunes représailles, pas même d’avertissement pour que cessent leur incartade.
Un jour, ils avaient décidé de s’ouvrir une garderie. Enfin, c’est par cette plaisanterie qu’ils décrivaient leur initiative… Ils avaient mis à profit la mouvance post-Lytvyn pour investir dans ce cheap labour que sont les jeunes de la rue. Ils en avaient gagné beaucoup à leur cause en leur promettant de l’argent rapide et des filles faciles… Et encore plus après qu’ils eussent commencé à remplir leurs promesses. Leur connaissance des rouages de La Cité leur permit ainsi d’unifier une constellation de bums et d’adolescents désœuvrés en une force cohésive.
Le résultat? Les Rottens faisaient maintenant trembler les honnêtes citoyens autant que les crapules, sans que personne – pas même Smith, ils en étaient certains – ne réalise que les quatre tiraient leurs ficelles.
Comble de l’ironie, Karl Tobin était venu frapper à leur porte pour solliciter leur aide contre les Sons of a Gun. Ils savaient déjà que depuis son improbable retour – tous l’avaient cru mort –, il s’était acoquiné avec le camp de Smith. Il leur avait demandé de tirailler autour du camp des Sons of a Gun pour créer une diversion à grande échelle pendant qu’il attaquait de son côté – probablement de la mer, quoiqu’il n’eût pas précisé cette partie de son plan. Ils avaient acquiescé et promis leur assistance, mais le moment venu, leurs armes étaient demeurées silencieuses. Personne ne savait exactement ce qui s’était passé ce jour-là, mais les quatre avaient fait d’une pierre deux coups : les Sons of a Gun avaient été décimés et Tobin lui-même y avait laissé sa peau. En choisissant de ne pas jouer, ils avaient raflé la mise.
Le temps de montrer patte blanche tirait à sa fin. La Cité leur appartiendrait et personne ne les en empêcherait.
Ils allaient tuer Jean Smith.
Il n’était pas facile à trouver : il marchait dans la ville comme un fantôme, apparaissant là où on ne l’attendait pas ou disparaissant avant qu’on n’eût remarqué sa présence… Smith ne prêtait jamais le flanc en s’exposant de manière à ce que des ennemis puissent en tirer profit.
Mais les quatre disposaient d’un avantage de taille : ils étaient ses alliés.
Ils allaient lui tendre un piège duquel même un fantôme ne pourrait s’échapper… 

dimanche 1 mai 2011

Les résultats du sondage

La bonne nouvelle, c'est que 100% des répondants au sondage de la semaine dernière sont à jour dans la lecture du Noeud Gordien!

Joie! Allégresse! Satisfaction!

Quoi, il y a une mauvaise nouvelle? Oh... Il est vrai que le sondage n'a reçu qu'une seule réponse. Oooookaaaaaaay...

Euh, hrm.

On continue pareil!!

Bonne semaine!

P.

Le Noeud Gordien, épisode 168: Deuxième tour

Le second tour de Joute avait été prévu pour cet après-midi. À la demande de leur maître, Hoshmand et Polkinghorne étaient venus se camper devant l’église de Gordon dès la pointe du jour. Leur objectif était double : premièrement, ils devaient vérifier l’absence de Tricane. Leurs dispositifs de surveillance leur avaient appris qu’elle manquait à l’appel depuis un moment déjà. Si elle était déclarée absente au moment où la Joute devait commencer, Avramopoulos avait l’avantage de choisir… Polkinghorne était curieux de savoir si le tour serait remis, ou s’il aurait tout de même lieu avec un lieutenant plutôt que deux. Cette dernière option était risquée si Avramopoulos perdait le tour, mais tout un avantage s’il sortait vainqueur!
Leur autre objectif était de décontenancer Gordon. L’usage voulait que les lieutenants arrivent en même temps que le jouteur, mais c’était davantage une courtoisie qu’un règlement formel. Leur présence se voulait donc une effronterie calculée... Lorsque Gordon était arrivé pour compléter les préparatifs, il s’était empressé d’entrer en faisant comme s’il ne les avait pas vus, sans nul doute agacé de les découvrir sur place avant lui… S’il s’avérait moindrement décontenancé ou irrité durant la Joute, Avramopoulos pourrait certainement en tirer profit. À la guerre comme à la guerre!
Ils avaient donc flâné toute la journée en faisant le pied de grue devant l’église. Hoshmand profitait du soleil printanier qui le réchauffait enfin après tous ces mois d’hiver hostile. Polkinghorne parlait de ceci et de cela, sans vraiment se soucier d’être écouté.
Une heure avant l’affrontement, Espinosa était arrivé – il les avait salué poliment mais n’avait pas entamé de conversation avant d’entrer dans l’église. Quarante-cinq minutes plus tard, Polkinghorne reçut un coup de coude de son partenaire : il avait remarqué une arrivée pour le moins inattendue. « Lytvyn? Qu’est-ce qu’elle vient faire ici? »
Félicia s’approchait effectivement d’un pas vif, un large sourire aux lèvres.
« Gentlemen », dit-elle. « Avant d’entrer, vous aimeriez sans doute savoir que Tricane ne sera probablement pas dans…
— On le sait déjà », interrompit sèchement Hoshmand. « Tu n’as rien à faire ici.
Plus diplomate, Polkinghorne ajouta doucement : « Il a raison. Si Avramopoulos te voit ici, il ne sera pas content…
— Pfah! » fit Hoshmand sur le ton de la dérision.
« Ce que mon cher collègue veut signifier avec son économie coutumière de syllabes moins qu’essentielles, c’est que je me suis exprimé en euphémisme… Je t’ai déjà dit que c’est à contrecœur qu’il m’a permis de prendre une femme comme étudiante… Tu donnes raison à ses réticences en agissant comme tu le fais. Tu devrais plutôt t’appliquer à démontrer que tu ne causeras pas de trouble et que tu connais ta place… »
Lytvyn pinça les lèvres, visiblement déçue. À quoi d’autre s’attendait-elle? On voyait qu’elle luttait pour contenir une émotion qui ne demandait qu’à s’exprimer… Colère? Tristesse? Indignation?  
« Causer du trouble? Moi, j’essaie juste de vous aider! » Colère it is, pensa Polkinghorne.
« Nous aider », dit Hoshmand sur un ton dubitatif.
« Félicia, je te l’ai déjà dit : ça me fait plaisir de t’avoir comme élève. Tu as beaucoup de talent, sans quoi je n’aurais pas essayé de convaincre Avramopoulos de me permettre de te prendre avec moi. Mais tu dois te rappeler que tu es une élève-adepte. Ça n’est pas comme si c’était possible que tu prennes part à la joute, même indirectement…
Félicia recula d’un demi-pas, comme si on venait de la gifler. Polkinghorne la connaissait assez pour saisir sa réaction : elle était ici parce qu’elle voulait prendre part à la Joute!
« Je comprends », dit-elle sur ce ton typiquement féminin qui disait aussi en filigrane : C’est toi qui ne comprends pas à quel point je suis blessée et déçue. Elle se retira avec un sourire forcé et les yeux mouillés. Polkinghorne reçut sans émotion son accusation muette : c’était elle, et elle seule, l’architecte de sa déception. Elle n’avait ni le pouvoir ni l’influence pour agir en tant que lieutenant, pas plus que le niveau d’acuité qui serait nécessaire pour encaisser sa récompense si elle gagnait une série d’échanges… Polkinghorne y avait goûté pour la dernière fois après leur victoire sur Latour, à Kiev. Les sensations glorieuses rattachées aux potentialités infinies de cet état ne pouvaient être gérées par quelqu’un n’ayant pas encore développé la discipline qui menait au statut d’adepte confirmé. Il espérait pouvoir renouveler l’expérience cette année, même si elle s’apparentait à fleurer un grand vin sans y tremper les lèvres… Chacun de ses contacts avec la metascharfsinn renouvelait sa volonté d’accomplir le Grand Œuvre et de jouter à son tour…
Avramopoulos arriva une minute avant l’heure prévue, son visage d’éphèbe tordu d’un sourire qui était tout sauf amusé. « Vous ne savez pas qui je viens de croiser? » Il toisa Polkinghorne. « Est-ce que Tricane est là?
— Non.
— Alors je vais jouer avec un seul lieutenant. » Il fit signe à Hoshmand de le suivre dans l’église, laissant l’autre pester contre les maladresses de son élève. Cette fille était du trouble!